Le 7 février, avec 307 voix pour, 263 contre et 41 abstentions, en toute discrétion, l’histoire est finalement écrite : les nouvelles technologies de sélection variétale, dites NBT ou NGT, seront « en partie » exemptées des règles encadrant les OGM [1]. Seul l’étiquetage de la présence des NGT sur les produits alimentaires a été conservé grâce à un tour de force des opposants aux projets (partie EELV et ONG).
Les NGT : « les nouveaux OGM » Kesako ?
Les NGT ne sont pas des OGM classiques, obtenus par transgenèse, au sens où aucun gène étranger n’est introduit dans la cellule. Les chercheurs ont recours à l’édition génomique qui sert essentiellement à modifier directement l’ADN d’un organisme de sorte que le produit final ne contienne aucun gène « étranger ». La technique la plus connue est « le ciseau CRISPR-Cas » (pour Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats).
Pour plus de détails, cliquez sur la video ci-dessous:
« En réalité, nuance Emmanuel Guiderdoni, chercheur spécialiste du riz au Cirad (Centre de coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement), c’est un peu plus compliqué : on passe par une étape avec un transgène lorsqu’on met en œuvre cette technique. Mais ensuite ce transgène est éliminé et donc la plante « éditée » ne contient plus de gène étranger à l’arrivée. »
Des risques pour la santé sous-évalués
Menée sous la pression des lobbys de l’agro-industrie, cette adoption, d’une rapidité inhabituelle, soulève de vastes interrogations, particulièrement à l’aube des élections européennes.
Les scientifiques du Réseau européen pour la justice sociale et environnementale (ENSSER) ont conclu, après avoir analysé les connaissances scientifiques existantes, que la proposition actuelle ne tient pas compte des dommages involontaires que les nouvelles techniques telles que CRISPR/Cas introduisent dans le génome [2]
Le principal argument pour écarter les préoccupations en matière de sécurité est que la majorité des NGT pourrait théoriquement être produites par des techniques de sélection de manière naturelle. Toutefois, ce n’est pas parce qu’une plante présente des caractéristiques similaires que le processus de production de ces nouveaux organismes n’a plus d’importance. Au contraire, les scientifiques ont fait valoir que les changements involontaires induits peuvent présenter des risques pour la santé ou l’environnement [3].
Les brevets : le véritable enjeu de la dérégulation des NGT
Les brevets sont une question cruciale à prendre en compte dans la proposition de déréglementation des NGT. Aujourd’hui, l’obtention d’un brevet pour des semences conventionnelles reste extrêmement difficile, provoquant l’embarras des industriels des semences. Ainsi, ces nouveaux arrivant apparaissent comme un formidable cheval de Troie, ouvrant ainsi la voie sacrée des brevets. Un rapport récent d’organisations environnementales européennes montre qu’une recherche du terme « plante CRISPR-Cas » dans les bases de données internationales de demandes de brevets a donné pas moins de 20 000 résultats [4] .
Malheureusement la dérégulation de ces nouveaux OGM rendra l’agriculture européenne encore plus dépendante des grandes multinationales, précisément en raison des structures de propriété intellectuelle existantes [5].
Mais la libéralisation à grande échelle, faisant fi des conséquences sur l’homme et la nature, est-elle vraiment ce que l’Europe veut défendre ?
Source :
[1] La Directive européenne 2001/18
[2] Déclaration d’analyse de l’ENSSER (Réseau européen des scientifiques pour la responsabilité sociale et environnementale) sur la nouvelle proposition de la Commission européenne sur les OGM. Ici pour l’annexe 1 sur les « critères d’équivalence » du NGT Publication en ligne. 07.07.2023
[3] https://enveurope.springeropen.com/articles/10.1186/s12302-020-00361-2; https://www.mdpi.com/2673-6284/10/3/10; https://www.mdpi.com/2223-7747/10/11/2259/htm
[4] Dolan et al. 2022. Rapport « Exposed. Comment les géants de la biotechnologie utilisent les brevets et les nouveaux OGM pour contrôler l’avenir de l’alimentation ». GLOBAL 2000 – Friends of the Earth Austria, Friends of the Earth Europe, Corporate Europe Observatory (CEO), Arche Noah, IG Saatgut – Interessengemeinschaft für gentechnikfreie Saatgutarbeit et Arbeiterkammer Wien
[5] Ely, Adrian, Patrick van Zwanenberg, Elise Wach et Dominic Glover, 2023. L’éventuelle déréglementation de certains OGM dans l’UE : Quelles en seraient les implications ? A pathways analysis. Bruxelles, BE : Groupe des Verts/ALE au Parlement européen.
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