Jérôme Froget est Managing Directeur chez Bellonie et Bourdillon Successeurs (BBS), filière de Campari. Cette maison de spiritueux martiniquais produit environ 20% du rhum de l’île, à travers ses trois marques principales que sont Trois Rivières, Maison La Mauny et Duquesne. La fabrication du rhum, de la culture de la canne à sucre à l’embouteillage, a un impact sur l’environnement protégé de la Martinique. Inversement, les effets du changement climatique dû à l’émission de gaz à effet de serre ont changé les dynamiques du territoire liées à l’industrie du rhum. Jérôme partage avec nous son expérience et ses connaissances sur ce sujet.

Culture de la canne à sucre

Parlez-nous de la canne à sucre en tant que plante.

La canne à sucre est une plante originaire de Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui produit principalement du sucre. Elle a été implantée par les Européens au XVIIᵉ siècle dans les Caraïbes et en Amérique du Sud. Elle est ensuite exportée depuis ces pays vers l’Europe en tant que denrée alimentaire de base. Avec le temps, l’Europe a préféré mettre en avant la culture locale de la betterave pour fabriquer son sucre. La Martinique, ne pouvant plus exporter sa canne à sucre vers l’Europe, s’est tournée vers une utilisation alternative de cette plante : la fabrication de rhum.

Quels sont les impacts de la culture de la canne à sucre sur l’environnement ?

La canne à sucre est une plante cultivée qu’il faut replanter environ tous les 6 ans. C’est une culture physiquement éprouvante et difficile pour les agriculteurs. Il faut généralement tailler la canne à la main à cause des reliefs, se baisser pour disperser dans les sillons et replanter les pousses dans des conditions délicates.

De plus, pour maintenir une production stable et un volume correct, il est nécessaire de protéger les cultures. Les dangers pour la production sont principalement les infestations d’herbes et les charançons rouges des palmiers, coléoptères nuisibles. Un désherbage à la main couterait très cher aux entreprises et serait très difficile pour les agriculteurs. Il faut donc se tourner vers des herbicides, qui impactent négativement la nature environnante et qui sont de plus en plus limités à cause de restrictions européennes. De même, les charançons envahissent de plus en plus les cultures et se démultiplient, à cause de la dilution des pesticides imposée par l’union européenne. Ces réglementations européennes veulent protéger l’environnement, mais punissent les agriculteurs qui essaient de vivre de leurs cultures. Un des aspects positifs de la canne à sucre est le fait que c’est une plante qui absorbe très bien le CO2 : elle présente un taux d’absorption 40% supérieur par rapport à la moyenne.

Le changement climatique influence-t-il la culture de la canne à sucre ?

Le climat est un aspect très important dans la culture de la canne. En général, la chaleur et l’humidité sont favorables pour la croissance de la plante, tandis que le froid (relatif) et la sécheresse sont favorables à la maturation de la plante. Il est donc important d’avoir des cycles climatiques stables pour assurer de bonnes récoltes. Or le changement climatique perturbe entre autre le cycle de l’eau. Malgré une production de cannes plutôt stable ces dernières années, la quantité de sucre extraite de ces cannes a diminué. Les sécheresses et inondations de ces dernières années liées au changement climatique ont réduit les récoltes de 50 tonnes de canne par hectare par an à 16 tonnes (pour les champs de BBS). Ceci correspond à une diminution de près de 70%. Ces effets climatiques sont notamment visibles dans le sud de l’île, où la terre est argileuse et retient mal l’eau. De plus, le sud est moins montagneux et moins végétalisé, ce qui favorise les incendies et réduit l’absorption d’eau.

Production du rhum

Comment se déroule la production du rhum ?

Premièrement, nous broyons les cannes à sucre dans des shredders ou des moulins pour obtenir un jus de canne. Ensuite, ce jus est fermenté avec des levures pour obtenir du vin de canne. Enfin, ces vins passent par une colonne de distillation pour obtenir du rhum. Ce rhum est en général à 70% d’alcool : il faut donc le diluer pour que sa teneur en alcool diminue et atteigne environ 40%. Une étape supplémentaire de vieillissement est possible à ce moment-là.

Ce processus est-il énergivore ?

Oui, tout ce processus est très consommateur d’énergie. En dehors de la culture de la canne, il faut alimenter les camions qui transportent les cannes, les moulins qui les broient et les réfrigérants autour des colonnes de distillation. Pour réduire notre consommation, nous cherchons à recycler nos produits au maximum. Une fois que les shredders ont broyé les cannes, nous obtenons le jus d’un côté et la bagasse de l’autre (résidu de canne sans jus). Nous pouvons ensuite brûler cette bagasse pour alimenter les moulins et les moteurs de réfrigération. Ceci ne nous permet pas d’avoir un bilan énergétique net zéro, mais c’est une première étape vers celui-ci.

Comment êtes-vous impacté par les réglementations gouvernementales autour de l’environnement ?

Nous devons faire attention aux rejets de l’usine. Par exemple, nos chaudières utilisées pour brûler la bagasse émettent trop de particules fines selon un arrêté gouvernemental. Il fallait donc investir dans de nouveaux équipements pour alimenter nos moulins. Ces nouvelles chaudières étaient non seulement très chères, mais fonctionnaient au fuel ! Ce fuel devait bien sûr être importé, car on ne produit pas de pétrole en Martinique. Pour nous, ceci était une aberration environnementale. Nous avons alors attaqué l’état en justice et gagné. Un autre rejet important est la vinasse, qui est un résidu pâteux de distillation. Cette vinasse à 3,4% d’alcool ne peut pas être rejetée dans les rivières aux alentours afin de préserver la biodiversité. Nous avons ainsi investi dans une mare à vinasse qui absorbe ce rejet.

 

Pour plus d’information, n’hésitez pas à visiter le site de Trois Rivières

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