Les actions de désobéissance civile ont eu pour conséquence de diviser l’opinion sur les modes d’actions des ONG sur les sujets écologiques. Toutefois, le temps presse et nos organisations doivent se lancer dans une transition importante. Les entreprises peuvent être un excellent vecteur de radicalité, permettant d’allier consensus et ambition écologique. 

Vous avez dit radical ?

Bien que le mot soit aujourd’hui fortement connoté, renvoyant au radicalisme, à l’extrémisme, le mot « radical » est avant tout sémantiquement à rattacher au mot « racine ». Qu’elle constitue un retour aux racines, à l’essence des choses et des notions, où à un déracinement, la radicalité nous fait bien souvent revenir à l’essence des choses.

Dans un contexte où les actions écologiques se font de plus en plus violentes (mais la société n’est-elle pas moins violente pas son inaction ?), la démarche RSE doit-elle suivre le chemin de la radicalité ? Au vu des chantiers à entreprendre, de l’urgence en cours, la radicalité peut sembler à certains comme la seule voie possible, mais la RSE ne pourra agir que si elle rassemble…

S’attaquer aux racines du mal

Dans ce contexte de dépassement des limites planétaires, de changement climatique, il ne s’agit plus de mettre des pots de fleurs sur les aires d’autoroutes, il faut remettre en cause notre confort. Effondrement de la biodiversité, dépassement des limites planétaires, les conséquences de nos actions sur la nature nous renvoient à notre faculté de destruction. La société consumériste en est arrivée à être prédatrice pour toute forme de vie sur la planète. Face à un tel constat, le radicalisme pourrait sembler s’imposer.

Pour Céline Soubranne, directrice ESG d’AXA Investment Managers, en revanche :

L’adoption d’un point de vue extrême et l’exigence d’une forme de pureté absolue et immédiate qui caractérisent la radicalité sont incompatibles avec le rôle transversal d’un responsable RSE, amené à travailler et à chercher des solutions avec tous les métiers.

On voit bien que ce débat est pour certains l’occasion de faire de longues phrases tièdes et chargées d’implicite, mettant sur un pied d’égalité pureté, extrémisme et radicalité, laissant penser que celle-ci n’amène pas de solutions et ne pourra jamais générer de consensus.

Toutefois, cette question de la génération du consensus pose une question hautement importante : la radicalité peut-elle faire des concessions ? Si un changement brutal est la seule voie possible, doit-on l’imposer ?

1ère étape: partager un constat alarmant

Pour générer du consensus, il est essentiel d’éduquer. La première étape de tout changement organisationnel devrait donc être celui de la prise de conscience. Cette prise de conscience doit se faire à l’aune d’un discours scientifique, sourcé, permettant de traduire l’importance des enjeux et mettant en avant le manque de temps restant à l’action. Il est également nécessaire de rappeler qu’un discours sourcé, scientifique et bienveillant, bien qu’il puisse être fortement déroutant, ne constitue pas une forme de radicalité. La vérité peut être démoralisante, nous bousculer, être terrifiante, elle ne peut pas être porteuse de radicalité.

L’éco-anxiété des plus jeunes à elle seule ne devrait-elle pas commander à plus de radicalité ?

Repenser l’organisation et la gouvernance de nos sociétés et de nos entreprises peut permettre de faire entrer une part de radicalité, tout en la reconnectant au terrain. En créant un débat sain et pérenne au sein des organisations, les uns pourront bénéficier du pragmatisme du terrain, et les autres intégrer le haut niveau d’exigence que peut nécessiter une démarche sincère et efficace. Cette façon de faire peut également permettre de couvrir le fossé qui a pu se creuser entre les générations.

La radicalité nécessaire ?

Les exemples passés et présents de luttes « radicales » sont nombreux : contre les totalitarismes, les pratiques esclavagistes ou les inégalités de droits et de destins sont des combats qui paraissent pourtant évidents à mener coûte que coûte. Lorsque l’ordre établi est trop fort, le déracinement devient la seule voie possible. La question posée devient ainsi : quand est-ce que la radicalité peut être acceptée ?

A-t-on trouvé radical le combat pour les droits civiques aux Etats-Unis ? La lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud ? Les luttes pour le droit de vote des femmes en Angleterre ? Oui.

Visiblement, le radicalisme pourrait également être vu comme moteur du changement.

Dans le même temps, les actions de désobéissance civiles, bien que participant à populariser les thématiques climatiques en environnementales, peuvent également susciter la défiance. Nous n’avons pas tous le même positionnement face à l’urgence, et certaines personnes peuvent se sentir attaquées dans leurs valeurs et leurs modes de vie.

Les sujets de transition, par leur complexité, exigent de la nuance, et une action qui s’inscrit dans le temps sur tout un écosystème, de la décision publique aux comportements individuels, en passant par la transformation complexe et progressive de business model au sein des entreprises…

De même, les chaînes de valeurs complexes traitées par les entreprises nécessitent parfois des remises en question profondes, qui demandent un travail sur le temps long. Ce travail ne peut que difficilement s’accorder avec les injonctions et attaques de groupes d’activistes ou d’ONG. Dans certains cas, l’entreprise pourra être poussée à prendre une posture de défense du statu quo afin de ne pas perdre la face… alors même qu’elle entreprend en interne des changements radicaux.

La radicalité et l’entreprise

Les injonctions sont nombreuses envers les entreprises. Une défiance s’est installée dans l’opinion publique, qui regarde d’un œil méfiant les opérations de communication, suspectée de greenwashing. Dans le même temps, l’exigence du consommateur est toujours plus forte autour de ces sujets. L’entreprise doit ainsi se transformer de façon agile, dans un contexte de recherche de rentabilité toujours accru.

En interne, des collaborateurs se renseignent et se forment aux sujets climatiques, installant une distance avec le management et menant bien souvent à une crise de motivation.

Passant par des phases mêlant techno solutionnisme et croissance verte, les trajectoires de pensées mènent bien souvent à un nihilisme mortifère, renforçant une impression d’inutilité sociétale.

La COVID a bien souvent été un catalyseur de cette impression d’impuissance.

Dans ce contexte, la radicalité peut se révéler être une force, et rarement une faiblesse. En effet, rare seront les candidats à disqualifier une entreprise au prétexte qu’elle serait trop engagée pour le climat, tandis que cet engagement peut s’avérer être un formidable levier pour des travailleurs en recherche d’impact positif. À l’inverse, un manque d’engagement (ou un engagement pas suffisamment radical !) peut s’avérer être un véritable boulet dans la politique de recrutement d’une entreprise aujourd’hui.

Panagonia est un bon exemple d’entreprise, dont les choix radicaux ont pu créer du consensus et renforcer une adhésion à des modes de vie et de consommation soutenables.

Il n’est pas stupide de penser que la radicalité peut être aujourd’hui nécessaire pour appréhender et répondre aux enjeux écologiques de notre siècle. L’entreprise peut être un excellent vecteur de radicalité, la rendant légitime et fixant un cap ambitieux pour relever ces défis. Que les entreprises, à travers la RSE, soient des acteurs radicaux peut également créer du consensus et promouvoir les ruptures de modes de consommation dont nous avons besoin.

À l’inverse, on mesure mal les conséquences qu’aurait un manque de radicalité dans le changement de nos modes de vie. Car s’il est une chose dont on peut être sûr, c’est que le changement climatique, lui, sera radical.

 

Pour aller plus loin : lire le manifeste de l’ORSE sur le sujet.

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