« Qui aurait pu prédire la crise climatique ? »
Il y a un demi-siècle, René Dumont devenait le premier candidat écologiste à l’élection présidentielle française. Le 19 avril 1974, pour son discours de candidature, il dressait déjà un constat accablant des limites terrestres. Une séquence restera de ce discours : celle de René Dumont prononçant ces quelques mots : « nous allons bientôt manquer de l’eau. Et c’est pourquoi je bois devant vous un verre d’eau précieuse puisqu’avant la fin du siècle, si nous continuons un tel débordement, elle manquera »1. Il finira son intervention en buvant son verre d’eau face caméra, comme pour mieux faire comprendre son message visionnaire. Sa candidature obtiendra finalement 1,32% des voix. Il aura cependant réussi à faire entendre ses thèmes dans le débat public. Un détour par le parcours et l’œuvre de ce militant écologiste toujours d’actualité peut nous inspirer afin de faire face aux bouleversements climatiques actuels.
Une philosophie pacifiste et altermondialiste
René Dumont est un ingénieur agronome né au début du 20ème siècle, le 13 mars 1904. Au cours de ses études, il se spécialisera dans l’agronomie tropicale et partira au Vietnam en 1929. En Asie, il découvrira les méthodes agricoles du colonialisme français. Les colons méprisaient les techniques traditionnelles de culture de la terre2. Après cette expérience, Hubert Cochet, ancien professeur à AgroParisTech, qualifiera René Dumont de « révolutionnaire » et déclarera : « Lui, qui a été envoyé au Vietnam pour apprendre la riziculture aux Vietnamiens, explique, à son retour, à ses collègues : “Les Vietnamiens m’ont appris à cultiver le riz” »3.
Ce rejet du colonialisme constituera une pierre angulaire de la philosophie écologique de René Dumont. À la suite de ce voyage au Vietnam, il réalisera plusieurs voyages sur le continent africain. Il publiera « L’Afrique noire est mal partie » en 1962 pour présenter les différents obstacles qui entravent le développement du continent. À l’heure de la décolonisation, et face à la pauvreté de nombreux pays autrefois asservis, René Dumont va d’abord faire le choix du productivisme. Pour lui, les pesticides doivent être encouragés puisqu’ils permettent de nourrir une population mondiale sans cesse croissante et d’éviter la famine.
Le tournant écologique
Ce n’est qu’au début des années 1970, dans un contexte de publication du rapport Meadows en 1972, que l’écologiste va prendre conscience des limites planétaires. Pour illustrer ce nouveau constat, René Dumont publiera en 1973 « L’Utopie ou la mort », manifeste écologique avant l’heure. Il y réaffirmera la nécessité de lier écologie et altermondialisme : « si les pays démunis risquent d’être de plus en plus affamés et dominés, nous risquons, nous, les riches gaspilleurs et pollueurs, de nous retrouver de plus en plus asphyxiés, dans nos autos privées, symboles de notre égoïsme »4. L’année suivante, pendant sa campagne présidentielle, René Dumont élargira la vision qui était alors portée par l’écologie politique. Cette dernière était tournée principalement autour de l’agriculture et de la lutte antinucléaire. Pour Yves Cochet, ancien député Europe Écologie Les Verts (2002-2011), René Dumont va permettre aux Verts d’allier protection de la planète et « le social, les exclus, la dimension Nord-Sud »5.
Une pensée moderne et une personnalité complexe
Alors que retenir de la vie de René Dumont ? Malgré son relatif anonymat dans nos consciences modernes, cet agronome était un avant-gardiste. Au-delà du fait qu’il ait anticipé les effets du réchauffement climatique, son approche théorique continue d’irradier le mouvement écologique. Il se considérait comme altermondialiste, pacifiste et alliait justice sociale et protection du vivant. Autant de thèmes que l’on retrouve dans les luttes écologiques actuelles. Pour lui, il fallait même créer un « homme nouveau ». Cet individu serait éloigné de la croissance et pourrait assumer de moins consommer6.
René Dumont n’était pourtant pas exemplaire : il refusait tout compromis dans les idées qu’il portait. Il aura donc beaucoup de mal à s’engager durablement au sein d’un parti politique. Après l’élection de 1974, il déclarera à ses alliés écologistes : « Je repars travailler dans le tiers-monde, foutez-moi la paix ». Cette absence de compromis le poussera à continuer à admirer la Chine maoïste, même après les différentes exactions de ce régime6. Ses multiples voyages en avion au cours de sa vie, il a parcouru des dizaines de pays pour y insuffler son expertise agricole, paraissent également déplacés à nos yeux contemporains.
Et maintenant ?
Pour conclure, la philosophie de René Dumont est complexe et globale. Ses plus grandes idées ont sans doute été la lutte contre la famine et la guerre. Les deux notions sont intrinsèquement liées, d’autant plus dans les pays du Sud. Toute sa vie, il s’est efforcé de placer l’écologie dans un système global. À l’échelle internationale, et c’était d’autant plus le cas il y a 50 ans, ce sont les pays développés qui compromettent le plus la survie de l’humain sur Terre. Libre-penseur, il portera des idées jusqu’à lors peu développées, telles que la fin du gaspillage des ressources ou le contrôle des naissances7. Une baisse de la natalité des pays riches qui est aujourd’hui décriée ; René Dumont allait jusqu’à souhaiter « pénaliser » puis « interdire » la famille nombreuse6. Ses discours tranchants vis-à-vis des modes de vie occidentaux lui vaudront de nombreuses critiques, parfois justifiées, mais il s’efforcera de continuer son combat écologique jusqu’à son dernier souffle, le 18 juin 2001.
1 https://www.youtube.com/watch?v=nMRFKNu0f30
2 https://cultea.fr/connaissez-vous-rene-dumont-le-premier-candidat-ecologiste.html
4 https://books.google.fr/books/about/L_Utopie_ou_la_Mort.html?id=R0BCDAAAQBAJ&source=kp_book_description&redir_esc=y
5 https://www.youtube.com/watch?v=_HCbdCofhQM
6 https://laviedesidees.fr/Rene-Dumont-les-quarante-ans-d-une.html
7 https://biosphere.ouvaton.org/blog/rene-dumont-et-la-question-demographique/s
Merci de m’avoir fait découvrir ce passionnant philosophe. Il a pointé juste il y a plus de 30 ans !
Espérons qu’il ne se retourne pas dans sa tombe en voyant l’état du monde aujourd’hui…
belle découverte de ce pionnier, merci Romain.