Les adieux d’Extinction Rebellion

 

Le 1er janvier 2023, le collectif « Extinction Rebellion » a décidé d’arrêter ses activités de désobéissance civile au Royaume-Uni [1]. Créée en mai 2018 outre-manche, Extinction Rebellion est l’organisation la plus médiatisée de ce mode d’action et bénéfice d’antennes dans 56 pays. Au cours des dernières années, elle avait multiplié les coups d’éclats, à l’image du blocage du boulevard Saint-Denis le 16 avril 2022 à Paris. Cette mobilisation avait pour but « la mise en place d’une politique réelle fondée sur des actes et décisions fortes permettant de nous garantir un avenir viable »[2]. L’arrêt des activités d’Extinction Rebellion au Royaume-Uni met-il en lumière l’inutilité, voire la contre-productivité, des actions de blocage au nom de la protection de l’environnement ?

 

La désobéissance civile, un concept ancien

 

La désobéissance civile est un phénomène ancien, théorisé pour la première fois par Henry David Thoreau en 1849. Ce mouvement n’a pas débuté avec les luttes écologistes : le combat pour l’indépendance de l’Inde (1915-1948) et la lutte pour les droits civiques aux États-Unis (1954-1968) en sont d’autres exemples. En France, la désobéissance civile écologique s’est accentuée depuis les années 1970 et la lutte contre l’extension d’un camp militaire sur le causse du Larzac [3]. Aujourd’hui, elle semble représenter un réel moyen de se faire entendre. Pourtant, ce mode d’action est loin de faire l’unanimité. Pour ses partisans, il constitue la dernière solution possible quand toutes les méthodes légales ont été utilisées sans succès. Sandra Laugier, philosophe française, pointe que « nous sommes dans une situation où la voie parlementaire n’existe pas, où tout est imposé. Le gouvernement n’agit pas car il y a trop d’intérêts industriels et économiques en jeu. Ce sont des actions de dernier recours car on n’a pas d’autres solutions pour se faire entendre » [4].

 

Une opposition de la puissance publique à ce mode d’action

 

Un avis que ne partage pas le gouvernement français. Christophe Béchu, Ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, a déclaré le 15 novembre 2022 que les actions de désobéissance « provoquent l’incompréhension des Français et renvoient une image de l’écologie qui n’est pas la bonne » [4]. Le ton est encore monté après la mobilisation contre le chantier d’une retenue d’eau à Sainte-Soline (79) fin octobre 2022. Des violents affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et les manifestants, ces derniers ayant notamment sectionné la canalisation d’une des méga bassines. Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, est allé jusqu’à qualifier les manifestants d’« écoterroristes ». L’utilisation du concept de terrorisme pour désigner une manifestation écologique a été qualifiée d’excessive par de nombreux observateurs.

 

En effet, dans le droit de l’Union Européenne, le terrorisme est défini de manière très précise. Les moyens utilisés peuvent être « l’atteinte à la vie ou à l’intégrité physique d’une personne » ou « les destructions massives d’infrastructures » [5]. Ces moyens doivent avoir pour but de « contraindre les gouvernements à prendre une certaine décision » ou « déstabiliser les structures politiques d’un pays ». Autant d’appellations qui semblent difficilement imputables à la partie pacifique de la manifestation de Sainte-Soline et à la désobéissance civile en général. Pour Clément Viktorovitch, politologue et chroniqueur sur Franceinfo, « mettre un coup de pioche à un bassin en construction ou sur une canalisation ne peut relever du terrorisme. Des concepts juridiques ont été détournés de leur sens pour décrédibiliser une mobilisation » [6]. Par le passé, il est vrai que les militants écologistes ont pu avoir recours à des actions extrêmement violentes pour faire entendre leur voix. C’est le cas de l’attentat, qui n’avait pas fait de victime, contre la centrale nucléaire de Fessenheim en 1975 [7]. Cependant, depuis des années, ce type d’actions n’est plus du tout revendiqué par la grande majorité des mouvements de défense de l’environnement.

 

Vers une reconnaissance de la légitimité de désobéir ?

 

Aujourd’hui, malgré les risques encourus, de nombreux militants acceptent de désobéir et de s’exposer à une condamnation judiciaire. Le 11 janvier, deux militants de « Dernière Rénovation », campagne de résistance civile, étaient jugés pour avoir bloqué le périphérique parisien. Les deux jeunes hommes ont été condamnés pour « entrave à la circulation » mais la justice a reconnu qu’ils se trouvaient dans un « état de nécessité ». Le tribunal a estimé qu’il y avait un « danger actuel ou imminent » et que les actes étaient « proportionnés » [8]. Un premier pas vers la reconnaissance légale de la désobéissance civile comme moyen d’action légitime ?

 

[1] Reporterre. (2023, 2 janvier). Au Royaume-Uni, Extinction Rebellion met de côté la désobéissance civile. Reporterre, le média de l’écologie. https://reporterre.net/Au-Royaume-Uni-Extinction-Rebellion-met-de-cote-la-desobeissance-civile

[2] Scigacz, M., & Godon, P. (2022, 16 avril). Présidentielle 2022 : près de 23 000 personnes ont manifesté contre l’extrême droite. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/direct-presidentielle-2022-emmanuel-macron-se-rend-a-marseille-pour-tenter-de-seduire-la-gauche-et-la-jeunesse_5084980.html

[3] Henry, A. (2021, 6 novembre). Lutte du Larzac : 5 photos symboliques de 50 années d’une mobilisation historique. France 3 Occitanie. https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/lutte-du-larzac-5-photos-symboliques-de-50-annees-d-une-mobilisation-historique-2322256.html

[4] Porret, H. (2022, 19 novembre). La désobéissance civile sert-elle la cause écologique ? ID, l’Info Durable. https://www.linfodurable.fr/environnement/la-desobeissance-civile-sert-elle-la-cause-ecologique-35367

[5] D’Allens, G. (2022, 4 novembre). « Écoterrorisme » , un mot prétexte contre la lutte écologique. Reporterre, le média de l’écologie. https://reporterre.net/Ecoterrorisme-un-mot-pretexte-contre-la-lutte-ecologique

[6] Parlement Européen & Conseil de l’Union Européenne. (2017, 15 mars). DIRECTIVE (UE) 2017/541 du 15 mars 2017. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:32017L0541&from=IT#:~:text=Le%20caract%C3%A8re%20mondial%20du%20terrorisme,d’obtenir%20des%20preuves%20%C3%A9lectroniques.

[7] Girard, L., Sales, M., Roy, T. L., Cohen, D., Guerrin, M., & Angelier, F. (1975, août 16). ATTENTAT A L’EXPLOSIF CONTRE LA CENTRALE NUCLÉAIRE DES MONTS D’ARRÉE. Le Monde.fr. https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https://www.lemonde.fr/archives/article/1975/08/16/attentat-a-l-explosif-contre-la-centrale-nucleaire-des-monts-d-arree_2577538_1819218.html

[8] Dernière Rénovation. (2023, 10 janvier). Publication instagram du 10 janvier. https://www.instagram.com/p/CnPoXD9sihZ/

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