La semaine dernière, lors d’une balade dans la campagne angevine, je suis tombé nez-à-nez avec une chasse à courre. La scène est impressionnante : une vingtaine de chiens, cinq chasseurs et autant de voitures. Je m’attendais à voir un cerf ou un sanglier se faire poursuivre par toute cette troupe. Finalement, après cinq minutes d’observation, un gros lièvre est passé à quelques mètres de moi, en ayant réussi à éviter les dizaines de Beagles lancés à sa poursuite. Même si les chasseurs s’efforcent d’être le plus polis possible avec les randonneurs et qu’ils ne sont ici pas armés de fusils, assister à une scène de chasse sur son chemin de randonnée peut poser question. Tant d’un point de vue environnemental que sécuritaire.
Des accidents en baisse mais une opinion publique toujours plus défiante
Au niveau des accidents, la tendance est à la baisse depuis 20 ans. Sur la période 2021-2022, 90 accidents de chasse ont été recensés, dont 8 mortels [1]. Deux victimes n’étaient pas des chasseurs. Cette baisse globale s’explique par différentes mesures, notamment les nouvelles formations pour les chasseurs ainsi qu’une évolution de la réglementation.
Evolution des accidents mortels pendant la chasse depuis 2001, Bilans des accidents et incidents de chasse (2022), p.5, Observatoire français de la biodiversité [1]
Malgré les efforts consentis, la chasse reste régulièrement pointée du doigt. Le 08 janvier 2023, par exemple, une tribune a été publiée dans Le Monde par cinquante personnalités pour condamner la chasse à courre [2]. Pour les signataires, cette pratique sème « le chaos et la terreur ». Ils considèrent que son interdiction serait justifiée par un impact sur le vivant est désastreux et parce que 86% des Français y sont opposés. En effet, la France fait désormais figure d’exception : l’Allemagne, la Belgique et l’Angleterre ont aboli la pratique. Seuls six pays au monde autorisent ce type de chasse, qui existe en France depuis le règne de François 1er au 16ème siècle.
Pour l’association Rassemblement pour une France sans chasse, plusieurs arguments entretiennent la défiance de l’opinion publique vis-à-vis de la chasse, à courre ou non [3]. D’abord, la mise à mort d’un animal ne devrait pas être nécessaire pour se divertir. Ensuite, la chasse crée un sentiment d’insécurité chez les promeneurs et elle modifie la distribution géographique des espèces. Ces dernières sont parfois obligées de quitter leur territoire pour éviter les zones de chasse.
Réponse à la question « Personnellement, diriez-vous que vous êtes plutôt favorable, plutôt défavorable ou indifférent à la chasse ? », Le rapport des Français à la chasse et aux chasseurs (2021), p.18, Ifop [4]
La régulation du vivant par l’homme est-elle nécessaire ?
Pour les partisans de la chasse, la nécessaire régulation de la biodiversité est un argument récurrent. Pour Pierre Rigaux, militant écologiste et pour une interdiction de la chasse, cette justification n’est pas entendable. Il explique que « La grande majorité – approximativement 95 % – des animaux tués à la chasse n’ont pas besoin d’être régulés » [5]. Dans ce sens, il estime qu’il faudrait limiter la chasse aux 5% restants.
En outre, la régulation des espèces peut passer par d’autres moyens que la chasse. Le cas des sangliers est emblématique : cette espèce est responsable de nombreux accidents de la route chaque année. Ce désagrément semble constituer une raison valable de le chasser. Les chiffres montrent très bien la focalisation contemporaine des chasseurs pour cette espèce : en France, on a chassé 22 fois plus de sangliers en 2020 (801 375) qu’en 1973 (35 893) [6]. Cependant, le média Futura-sciences pointe que la chasse ne fait pas diminuer le nombre de sangliers. Effectivement, dans une logique d’adaptation de l’humain à son environnement, nous pourrions au contraire adapter notre réseau routier à cette contrainte [5].
Enfin, en dehors des espèces considérées comme nuisibles, la chasse d’espèces menacées pose particulièrement question. Sur les 64 espèces d’oiseaux chassées en France, le double de la moyenne européenne, 20 sont en danger. Enfin, nombre d’animaux sont élevés par les chasseurs eux-mêmes pour être abattu par la suite. Ce constat contredit l’argument de la régulation pour bon nombre d’espèces. Selon Jean-Christophe Chastang, président du Syndicat national des producteurs de gibier de chasse, chaque année, les chasseurs élèvent entre 10 et 15 millions d’oiseaux afin de les chasser.
Le tabou de l’interdiction de la chasse
Il est difficile de définir un portrait robot du « chasseur ». Cependant plusieurs caractéristiques reviennent fréquemment. Le chasseur est un homme (dans 98% des cas), il a plus de 45 ans (72%) et il est cadre/profession libérale (36%) [7]. Si l’interdiction de la chasse est défendue par plusieurs associations écologiques, elles se heurtent à la résistance d’une petite partie de la population française, encore très attachée à cette pratique. Par exemple, pour les partisans de la chasse à courre, « l’ambition des veneurs n’est pas d’innover, mais bien de cultiver un savoir-faire unique au monde. Il est peu d’activités où l’homme moderne est confronté à la même problématique, explore les mêmes ressources, accomplisse les mêmes gestes qu’il y a deux, cinq ou huit siècles » [8]. Assurément, dans un monde instable et changeant, la tradition rassure. D’autant plus que la démocratisation de la chasse après 1789 constitue une fierté pour les chasseurs. Selon eux, la Révolution française a permis à l’ensemble du peuple d’acquérir ce droit, qui ne pourrait donc être remis en cause aujourd’hui. Cependant, de nombreux historiens ont remis en question cet argumentaire, à l’image d’Agnès Tachin, professeure d’histoire contemporaine à l’Université de Cergy-Pontoise. Pour elle, c’est « un mythe » et la bourgeoisie a en réalité été la seule bénéficiaire de cette évolution [9].
Quel futur pour cette tradition ?
À notre époque, la tradition peut-elle vraiment constituer le seul argument du maintien de la chasse ? Malgré une opinion publique hostile, la chasse reste épargnée par le gouvernement français. À l’image du plan pour la sécurité de la chasse, publié le 9 janvier 2023, qui n’a pas contenté les associations. Par exemple, l’introduction d’un jour sans chasse, soutenue par 75% des populations rurales, n’a pas été retenue [10]. À l’inverse, l’interdiction de chasser sous l’emprise de l’alcool et de stupéfiant représente cependant une avancée. Les prochaines années nous diront si une évolution de la manière de chasser arrivera à réconcilier partisans et opposants à cette pratique ancestrale.
Sources :
[1] Bilan des accidents-incidents de chasse 2021-2022. (s. d.). Drupal. https://www.ofb.gouv.fr/actualites/bilan-des-accidents-incidents-de-chasse-2021-2022
[2] (2023, 13 janvier). « La chasse à courre sème le chaos et la terreur, nous demandons son abolition » . Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/08/la-chasse-a-courre-seme-le-chaos-et-la-terreur-nous-demandons-son-abolition_6157045_3232.html
[3] Les chasseurs se voient en protecteurs de la nature. (2017, 7 novembre). National Geographic. https://www.nationalgeographic.fr/animaux/les-chasseurs-se-voient-en-protecteurs-de-la-nature
[4] Le rapport des Français à la chasse et aux chasseurs. (2021). Ifop. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/04/117909-Rapport-03.03.2021.pdf
[5] Hernandez, J. (2022, 6 novembre). Les chasseurs, des gardiens de la biodiversité ? « 95 % des animaux tués à la chasse n’ont pas besoin d’être régulés » . Futura. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/biodiversite-chasseurs-gardiens-biodiversite-95-animaux-tues-chasse-nont-pas-besoin-etre-regules-101416/
[6] Quef, J. (2022, 17 novembre). La chasse est-elle nécessaire pour réguler la faune sauvage ? vert.eco. https://vert.eco/articles/la-chasse-est-elle-necessaire-pour-reguler-la-faune-sauvage
[7] Durand, A. (2018, 18 octobre). Sur 1,1 million de chasseurs, moins de 10 % possèdent un permis national. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/08/29/sur-1-1-million-de-chasseurs-moins-de-10-possedent-un-permis-national_5347594_4355770.html
[8] Vènerie, C. (2022, 24 octobre). Histoire de la chasse à courre. Vènerie.org. https://www.venerie.org/histoire-de-la-chasse-a-courre/
[9] Sideris, C. Q. \. F. (2022, 22 février). La chasse est-elle « un droit acquis pendant la Révolution » , comme l’affirme Valérie Pécresse ? TF1 INFO. https://www.tf1info.fr/societe/randonneuse-tuee-dans-le-cantal-par-une-chasseuse-la-chasse-est-elle-un-droit-acquis-pendant-la-revolution-comme-l-affirme-valerie-pecresse-lr-2211559.html
[10] Barroux, R. (2023, 13 janvier). Le gouvernement refuse d’instaurer un jour sans chasse. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/01/09/le-gouvernement-refuse-d-instaurer-un-jour-non-chasse_6157142_3244.html
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