Les Allemands et leur forêt

 

Les Allemands ont une rapport particulier avec leurs forêts. La forêt allemande peut être un lieu de promenade, de réflexion ou de fête. Elle est omniprésente, que ce soit dans l’art, le langage ou l’imaginaire du peuple allemande. À l’heure d’un réchauffement climatique qui frappe les forêts de plein fouet, cette relation intense, qui existe depuis des siècles, permet-elle de préserver la nature plus qu’ailleurs ?

 

La place de la forêt dans la culture germanique est d’abord justifiée par sa superficie : elle représente 1/3 du territoire national allemand [1]. La forêt allemande comprend 76 espèces d’arbres différentes et, chaque année, 46 millions de m3 de forêt poussent dans le pays. En outre, elle représente un vivier économique important en employant 1,1 million de personnes, soit plus que le secteur automobile.

 

Cependant, cette superficie n’explique pas tout : le forêt française occupe également 1/3 du territoire sans occuper une telle place dans notre imaginaire. De nombreuses fêtes forestières ont par exemple lieu chaque année aux quatre coins de l’Allemagne. Un exemple marquant est la fête de Tegernsee, une petite ville au sud de Munich. Chaque année, le lac Tegernsee et sa forêt accueillent une fête bavaroise avec de la bière, des bretzels et des danses traditionnelles. Cette fête dure tout l’été et constitue un réel évènement dans ce village.

 

Fête de Tegernsee

La forêt allemande dans l’histoire, l’art et le langage

 

De multiples références à la forêt sont également présentes dans l’histoire allemande. Dans son récit Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César explique qu’il fallait plus de 60 jours pour traverser cette forêt. Pour lui, il y avait même des animaux fantastiques qui y vivaient. 2000 ans plus tard, pendant les célèbres Jeux olympiques de Berlin de 1936, les vainqueurs des épreuves recevaient une graine de chêne allemand. Le chêne représentait la supposée force germanique, chère à l’idéologie nazie. Certains de ces grands chênes, surnommés « chênes hitlériens », poussent encore aux États-Unis. Pour ce qui est de la peinture, on pourrait citer le travail du peintre Wilhelm Kimmich, qui a énormément peint la forêt allemande. Il est considéré comme l’un des plus grands peintres de la Forêt-Noire, massif montagneux situé à 25 kilomètres de la frontière franco-allemande.

 

L’exemple le plus marquant de la place de la forêt dans l’imaginaire allemand reste sans doute la multitude de mots qui contiennent le mot « forêt » (« wald » en allemand). Ces mots sont plus de 1000 dans la langue allemande. On retrouve « Waldeinsamkeit » (« solitude forestière »), « Waldfinsternis » (« obscurité forestière ») ou « Waldumrauscht » (« être entouré par les murmures de la forêt »). En 1983, le mot « Waldsterben » (« mort de la forêt ») est entré dans le dictionnaire allemand. Pour Nora Krug, illustratrice allemande et autrice d’ « Heimat » où elle raconte son rapport complexe avec son pays natal, ce nouveau mot a fait s’abattre une « vague d’angoisse existentielle » sur le pays.

 

La forêt allemande est menacée

 

La forêt allemande est mise en danger par le réchauffement climatique, comme nombre de forêts aux quatre coins du monde. À titre d’exemple, en juin et juillet 2022, plus de 1 400 hectares de forêt ont brûlé dans le seul Land de Brandebourg, voisin de Berlin [2]. Les dégâts ont été multipliés par 3,5 par rapport à la moyenne de la région des 10 dernières années. Les arbres allemands sont devenus plus fragiles à cause du réchauffement climatique. Ils sont victimes d’attaques destructrices de la part de certains insectes. Par exemple, les scolytes, de la famille des coléoptères, ont plus de facilité qu’autrefois à s’introduire dans les arbres pour y faire des ravages.

 

La sauvegarde de la forêt est un enjeu majeur parce que la déforestation est à l’origine de 20% des émissions mondiales de CO2 [3]. De plus, un arbre absorbe environ 40 kilos de COpar an et il aura, à la fin de sa vie, capté des centaines, voire des milliers de kilos de CO2. De plus, pour certains scientifiques, la destruction des forêts entraînera des pandémies dans les années à venir. En effet, de plus en plus de personnes entrent en contact avec des animaux dont elles ne vivaient pas à proximité auparavant.

 

Une gestion marchande de la forêt

 

Les mauvais choix allemands en termes de gestion forestière accélèrent les effets du réchauffement climatique. Comme spécifié plus haut, la forêt continue de grandir en Allemagne. Cependant, il est nécessaire de se pencher sur la manière dont elle grandit. Un problème majeur est la monoculture de conifères [1]. Les « conifères » (principalement des douglas) remplacent les « feuillus » (par exemple les chênes et les châtaigniers). Ce choix est économique : les conifères peuvent être abattus et vendus 2 à 3 fois plus vite que les feuillus. Ces monocultures impactent négativement la diversité des forêts allemandes et des espèces qui peuvent y vivre. En réponse à ce problème, les associations écologiques souhaitent une réintroduction massive des feuillus naturels.

 

L’avenir de la forêt allemande passera par un retour au respect du vivant

 

Malgré l’attachement du peuple allemand à sa forêt, la lutte contre la déforestation n’est pas encore un objectif central du pays. Dans le futur, la forêt allemande devra s’éloigner d’une logique marchande et productiviste, peu adaptée au respect du vivant d’une manière générale, pour redevenir un sanctuaire de biodiversité. Et sans doute que cette forêt devra évoluer, en intégrant de plus en plus d’arbres enclins à supporter les effets du réchauffement climatique. Heureusement, à l’heure de la lutte écologique contre l’avancée de la mine de charbon de Lützerath [4], la volonté des citoyens allemands semble être à la sauvegarde de la forêt plutôt qu’à sa destruction. En 2018 déjà, des milliers de citoyens allemands et européens s’étaient battus, malheureusement en vain, contre la destruction de la forêt primaire de Hambach, vieille de 12 000 ans [5].

 

Mine de Hambach, 2006

Et si nous, voisins français, pouvions donner un avertissement aux sociétés extractrices et climaticides qui opèrent outre-Rhin, il viendrait sûrement de François-René de Chateaubriand (1768-1848) : « Les forêts précédent les peuples, les déserts les suivent ».

 

Sources : 

[1] Hallfahrt, P. (2018, 24 septembre). Les forêts allemandes classées au patrimoine mondial. deutschland.de. https://www.deutschland.de/fr/topic/environnement/combien-de-forets-y-a-t-il-en-allemagne-faits-et-chiffres

 

[2] Afp, G. A. (2022, 17 novembre). « L’arbre qui gâche la forêt » : en Allemagne, haro sur les monocultures de pins vulnérables aux incendies. Geo.fr. https://www.geo.fr/environnement/larbre-qui-gache-la-foret-en-allemagne-haro-sur-les-monocultures-de-pins-vulnerables-aux-incendies-212594

 

[3] Court, M. (2011, 15 juillet). Les forêts sont indispensables pour absorber le CO2. LEFIGARO. https://www.lefigaro.fr/environnement/2011/07/15/01029-20110715ARTFIG00573-les-forets-sont-indispensables-pour-absorber-le-co2.php

 

[4] Boutelet, C. (2022, 23 novembre). En Allemagne, Lützerath, dernier village avant la mine. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/11/23/en-allemagne-lutzerath-dernier-village-avant-la-mine_6151147_3234.html

 

[5] Sous la forêt, la mine. La forêt allemande de Hambach, symbole de la lutte pour la fin du charbon en Europe – Classe Internationale. (2018, 14 décembre). https://classe-internationale.com/2018/12/14/sous-la-foret-la-mine-la-foret-allemande-de-hambach-symbole-de-la-lutte-pour-la-fin-du-charbon-en-europe/

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