Et soudain, la lumière fut. Il aura suffi d’un tweet de Greta Thunberg. Andrew Tate, influenceur masculiniste plus connu pour ses abdominaux que pour sa vivacité d’esprit, a trouvé amusant de dévoiler sur Twitter la liste de ses voitures de luxe, toutes plus polluantes les unes que les autres. Il s’est même permis de solliciter l’activiste écologiste de 20 ans pour avoir son avis sur sa collection. Ce à quoi Greta Thunberg a répondu : « yes, please do enlighten me. email me at smalldickenergy@getalife.com ». Ce tweet a depuis été propulsé dans le top 10 des publications les plus likés de l’histoire sur ce réseau. La jeune suédoise, dont les discours nous provoquent généralement plus d’éco-anxiété que de rictus, a fait rire le monde entier. Et si c’était comme ça que les écologistes pouvaient gagner la « bataille culturelle » ?

Réponse de Greta Thunberg à Adrew Tate, le 28 décembre 2022

Réponse de Greta Thunberg à Adrew Tate, le 28 décembre 2022

Ecologie punitive : est-ce une réalité ?

La question ici soulevée est celle des imaginaires. On affirme souvent que l’écologie peine à convaincre. La preuve : les partis écologiques continuent de réaliser des scores « faibles » aux élections, malgré l’urgence. On reproche à cette écologie d’être « punitive » [1], de ne pas faire envie aux citoyens et d’être donc incapable de convaincre les masses de son importance. On pourrait opposer à cette logique que l’inaction climatique est sûrement davantage punitive, bien plus que des actions ciblées et anticipées de prévention des risques.

En France, est-ce que la multiplication des épisodes caniculaires et de sécheresse constituent une société rêvée dont on ne devrait absolument pas sortir ? La privation de liberté sera ici absolue : on ne pourra plus, surtout en ville, sortir de chez soi l’été. Est-ce que les Pakistanais ont envie de quitter leur pays parce que les pays occidentaux ont de grandes difficultés à décroître ? La liberté de vivre sur leur terre natale s’éloignera pour ces centaines de millions d’êtres humains.

La difficulté de se détacher du confort matériel

La première difficulté dans la création d’un récit écologique est liée au fait qu’il repose sur une remise en cause du confort matériel. Ce dernier a été poussé à l’extrême par les Trente Glorieuses et il continue d’être au centre des préoccupations malgré l’urgence de décroitre. Aujourd’hui, les écologistes remettent en cause, parfois maladroitement, les différents droits acquis au cours des dernières décennies. Pour leurs détracteurs, les écologistes voudraient interdire la voiture, la viande, les voyages et même de « couper les arbres chez vous » [2]. Hormis ce dernier exemple, cité par Emmanuel Macron le 8 juin 2022, la réduction des actions les plus polluantes de nos modes de vie est effectivement constitutive de l’écologie. Ces mesures, impopulaires, sont justifiées par une nécessité de passer de 10 tonnes de CO2e/an par français à 2 tonnes en l’espace de 30 ans [3].

Empreinte carbone moyenne d'un français, décembre 2020

Empreinte carbone moyenne d’un français, décembre 2020

Pour rendre ce récit plaisant, les activistes du climat ne pourront sans doute pas se contenter de convaincre tout le monde de l’urgence climatique. L’impact du réchauffement climatique est établi depuis des décennies sans que cela n’entraîne de transition systémique. Le constat puis l’alerte ne sont donc pas suffisants. Si le contexte oblige souvent les écologistes à être « rabat-joie » et culpabilisants, le rire que nous a provoqué Greta Thunberg est tout aussi important. Le message est passé : cela peut être ridicule de se vanter de polluer énormément.

L’écologie peut-elle devenir une « hégémonie culturelle » ?

D’un point de vue politique, les écologistes devront gagner la bataille des idées en démontrant qu’écologie peut rimer avec plaisir et épanouissement. Pour gagner cette bataille des idées, l’écologie pourrait devoir se transformer en « hégémonie culturelle ». Théorisée par le philosophe marxiste italien Antonio Gramsci, cette hégémonie passe par un travail de longue haleine pour imposer ses thèmes dans le débat public [4]. Il est nécessaire de faire comprendre au plus grand nombre le bien-fondé de ses idées pour espérer remporter une élection. Cette stratégie a d’ailleurs été utilisée par les think-tanks libéraux au cours des années 1950 afin de permettre la prise de pouvoir de Margaret Thatcher au Royaume-Uni (1979) ou de Ronald Reagan aux États-Unis (1981) [4]. Une idéologie néolibérale qui reste très présente dans nos esprits et qui peut donner l’impression qu’aucun autre système économique n’est possible.

L’affirmation de la décroissance

En effet, depuis des siècles, les pays occidentaux se démarquent par une mise en avant de la croissance économique et de la hausse du niveau de vie. Peu à peu, ces indicateurs se sont imposés comme les seuls représentants du « progrès ». Cependant, depuis quelques années, nous assistons à la remise en cause de l’utilisation du PIB comme seul indicateur pertinent. En 1972 déjà, André Gorz fut le premier à introduire cette idée : « L’équilibre global, dont la non-croissance – voire la décroissance – de la production matérielle est une condition, cet équilibre global est-il compatible avec la survie du système (capitaliste) » ? [5]. La décroissance, nécessité pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, doit désormais devenir enviable.

Si ses défenseurs étaient autrefois dépeints en extrémistes, il semblerait que leur discours se soit démocratisé. On le retrouve jusque dans les hautes sphères de l’État, à travers les multiples injonctions à la « sobriété énergétique » de la part du gouvernement français ou l’appel d’Emmanuel Macron à la « fin de l’abondance » [6]. Même si la décroissance économique n’est pas encore envisageable pour l’État français, notamment par peur d’une augmentation du chômage, il semblerait que les écologistes aient réussi à imposer certaines de leurs idées sur ce sujet. Peu à peu, la décroissance, s’immisce dans l’esprit des citoyens comme une solution enviable. En 2020, 67% de la population française y était même favorable [7].

Quand la société de demain commencera-t-elle ?

Alors oui, l’écologie peut devenir enviable. La société future est forcément difficile à conceptualiser et à expliquer puisqu’elle n’existe pas encore. D’aucuns opposeront à ce nouveau monde et à l’impatience des écologistes que « Rome ne s’est pas faite en un jour ». Soit. Mais cela fait déjà plusieurs semaines que la planète se consume et que les inégalités augmentent, comme en atteste le dernier rapport d’Oxfam [8]. Allier transition d’ampleur et augmentation du niveau de vie des plus précaires, voilà sans doute la seule manière pour l’écologie de convaincre les foules. Et notre seul espoir de préserver une planète habitable.

 

Sources : 

[1] Bonnifet, F. (2020, 3 novembre). L’écologie « punitive » est-elle vraiment punitive ?  TF1 INFO. https://www.tf1info.fr/environnement-ecologie/l-ecologie-punitive-est-elle-vraiment-punitive-2168913.html

[2] Mélenchon et la NUPES veulent-ils vous interdire de couper du bois chez vous ?  (2022, 9 juin). Le HuffPost. https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/melenchon-et-la-nupes-veulent-ils-vous-interdire-de-couper-vos-arbres_197324.html

[3] Bon Pote. (2023, 21 janvier). Vivre à 2 tonnes CO2e par an, c’est possible !  Bon Pote. https://bonpote.com/vivre-a-2-tonnes-co2e-par-an-cest-possible/

[4] Berthier, A. (2019, 17 avril). L’hégémonie culturelle selon Gramsci. Agir par la culture. https://www.agirparlaculture.be/lhegemonie-culturelle-selon-gramsci/

[5] Décroissance : histoire d’une idée (La). (s. d.). Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe. https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/civilisation-mat%C3%A9rielle/consommation-et-circulations-transnationales/la-d%C3%A9croissance-histoire-d%E2%80%99une-id%C3%A9e

[6] Franceinfo. (2022, août 25).  « La fin de l’abondance »  : la formule du président Macron ne passe pas pour l’opposition. Franceinfo. https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/la-fin-de-l-abondance-la-formule-du-president-macron-ne-passe-pas-pour-l-opposition_5325610.html

[7] Bon Pote. (2022, 11 juillet). “Le monde des écologistes ne fait pas rêver”. Bon Pote. https://bonpote.com/le-monde-des-ecologistes-ne-fait-pas-rever/

[8] Jarry, C. (2023, 26 janvier). Nouveau rapport : la loi du plus riche. Oxfam France. https://www.oxfamfrance.org/rapports/nouveau-rapport-la-loi-du-plus-riche/

 

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