Interview de Patrick Lenormand, journaliste.

Face au traitement sensationnel sur le temps court et la tentation du greenwashing, Patrick Lenormand propose un journalisme de solutions : tourné vers les lecteurs et ancré dans le débat démocratique.

Pouvez-vous vous présenter succinctement ?

Mon parcours journalistique est varié : de la presse régionale (Ouest-France, Le Progrès) aux revues spécialisées (Ithos, Systèmes solaires…), je réalise également des enquêtes. Par ailleurs, j’accompagne les créateurs de sites web pour l’aspect éditorial et travaille actuellement à un projet de newsletter de quartier.

 

En août 2022, Sybile Veil, Présidente-directrice générale de Radio France, annonce un « virage écologique » avec comme actions principales la formation des journalistes aux questions environnementales et l’augmentation des publicités responsables. Comment interprétez-vous ce « virage » ?

Il faut distinguer ce qui relève de la vraie intention, même tardive, du greenwashing. Aujourd’hui, la thématique environnementale est une problématique de fond, mais elle est devenue également une vraie tendance marketing.

C’est aussi un sujet complexe, qui appelle des compétences transverses sur des sujets variés : environnement ; santé, habitat… Il faut reconnaître aussi que c’est compliqué pour les gros groupes comme Radio France de faire changer les comportements. Il y a une inertie inhérente à la taille de l’entreprise.

Néanmoins, je porte une attention particulière aux mots : « durables », « responsables », « vertueux »… Ces mots liés aux thématiques de l’environnement et du développement durable sont à la mode, très tendance ; ils installent les préoccupations légitimes de l’environnement dans les politiques marketing, voire plaquent des complexes judéo-chrétiens et leur lot de fausse culpabilité. Qui peut aujourd’hui ne pas produire, ou agir, « responsable » ?

Très concrètement, l’environnement est abordé aujourd’hui dans les médias lors des épisodes climatiques non contestables, dès lors que l’on peut les lier au dérèglement climatique. Le sujet est traité parce que c’est devenu tendance. C’est aussi un sujet potentiellement original et anxiogène. Pourtant, les connaissances ne sont pas nouvelles : René Dumont, premier candidat écologiste à la présidentielle, évoquait déjà ces sujets dans les années 70.

 

Pourquoi n’en parlent-ils que maintenant ?

Parce que ces sujets ont maintenant un impact concret dans le quotidien des gens. Et puis, l’angoisse fait vendre. Par nature, les médias préfèrent parler de ce qui ne marche pas – les trains qui arrivent à l’heure n’intéressent personne, pensent-ils. Cette recherche de l’info originale se confond avec l’info qui inquiète, qui fait peur dans la plupart des médias, notamment en France.

C’est le fonctionnement primaire des médias que vous remettez en question ?

Tout à fait. Il faut une remise en question profonde, les médias doivent faire autre chose que du sensationnalisme. Il existe d’autres façons de rendre compte de l’actualité comme le « journalisme de solutions ». Après avoir évoqué le problème ou la catastrophe, cette forme de journalisme aborde, explique des solutions déjà à l’œuvre ou possibles. De ce fait, ce journalisme permet aux médias de se réinsérer dans le débat citoyen, démocratique. Le journaliste se fait le passeur d’une nouvelle façon de penser les choses, propose des modes d’action. C’est un journalisme plus militant qui permet d’aller davantage vers le lecteur et le citoyen plutôt que de rester dans un traitement stéréotypé de l’info qui a montré ses limites.

 
Au-delà de ces éléments, n’y a-t-il pas une difficulté à parler des mécanismes, du temps long ?

Ces sujets sont complexes, il faut les appréhender sur le temps long. Or, la plupart des médias privilégient le temps court : c’est même structurel pour les quotidiens, l’info de la veille pour le lendemain. C’est encore plus vrai pour les médias d’info en continu

L’argument du temps court est, selon moi, fallacieux. Il est possible de réaliser des dossiers approfondis, de faire du « feuilletonnage », certains médias le font très bien. C’est également le propre, la fonction des médias, d’expliquer le complexe, de vulgariser.

 

Les freins principaux au traitement des mécanismes complexes des questions climatiques sont donc la temporalité et le nombre de ventes ?

Oui, mais il y a également une question de volonté. La question environnementale est devenue prégnante. Dans ces conditions, le comité éditorial peut tout à fait décider d’avoir un sujet environnemental chaque jour. C’est un choix éditorial.

Il faut par ailleurs donner les moyens aux journalistes – en temps, en argent – de travailler sur le temps long, à l’image des médias d’enquête comme Médiapart ou certains médias locaux. Le travail à plusieurs, en collaboration, est aussi une manière de compenser le fait d’être limité en temps ou argent.

 

Certains médias avancent l’argument qu’ils ne mettent pas en avant les sujets environnementaux parce que ça n’intéresse pas les gens, leurs lecteurs, ou qu’ils adhèrent à ces préoccupations tant que ça ne bouscule pas leur quotidien. Pensez-vous que cela soit un élément d’explication ?

Les Anglo-saxons parlent en effet du phénomène Nimby, “Not in my backyard » : « Le climat m’intéresse, mais tant que ça ne vient pas dans mon voisinage, dans mon jardin ; je ne veux pas changer mes comportements ou mes habitudes ». Face à ce raisonnement, réel ou supposé, les médias ne veulent pas déranger leurs lecteurs, il y a une forme d’autocensure.

Néanmoins, avec les perturbations récentes (été 2022 par exemple), le changement climatique est devenu un sujet majeur, il est très difficile de ne pas en parler. Alors il est parfois effleuré. Un article sur la couverture d’une toiture par des panneaux solaires, c’est moins dérangeant qu’une enquête sur la nécessité de trier ses déchets.

 

Êtes-vous confiant sur l’évolution du journalisme vers un meilleur traitement des problématiques environnementales ?

Je suis un incorrigible optimiste. Quand on regarde un film comme Don’t look up, il reste bien sûr des raisons d’être inquiets, notamment dans la prise en compte, tardive ou limitée, de ces problématiques. Si l’on veut que les personnes qui nous succèdent puissent profiter de la vie sur terre, il faut commencer à travailler. Et c’est possible. L’exemple du trou dans la couche d’ozone le prouve… et les grands médias en ont parlé récemment, mais trop timidement à mon avis. Ce n’est pourtant pas une anecdote !

 

Merci Patrick

19/01/2023

 

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