Le lithium : opium de notre mobilité moderne ?

Le lithium est de plus en plus utilisé…

Le lithium est partout. Présent dans les batteries Li-ion, les acquéreurs sont de plus en plus nombreux à vouloir se le procurer. Pour chaque smartphone, 2 à 3 grammes de ce métal sont nécessaires. Pour une voiture électrique, il faut compter environ 20 kilogrammes [1]. La demande n’a cessé de croître au cours des dernières années et sa production a été multipliée par trois pendant la dernière décennie. À tel point que l’on surnomme désormais ce matériau « or blanc » et même « pétrole du 21^ème siècle » [2]. Conséquence de la multiplication de son utilisation, les prix ont récemment flambé. Alors que la tonne de lithium ne s’échangeait qu’à 40 000 euros la tonne en décembre 2021, elle valait 80 000 euros la tonne en novembre 2022 [3].

Infographie du Monde, 08 décembre 2022

… en particulier pour les batteries des véhicules électriques

Autrefois majoritairement employé dans le domaine du verre et de la céramique, le lithium est désormais utilisé pour la construction de batteries (à 71%) [4]. Ces dernières sont particulièrement utilisées dans les véhicules électriques individuels, un des leviers majeurs de la transition énergétique de notre mobilité. D’autant plus qu’ils seront les seuls véhicules neufs à pouvoir être vendus dans l’Union Européenne à partir de 2035. Les réserves en lithium seront-elles suffisantes pour opérer une transformation énergétique d’ampleur ? Selon l’IFP Énergies Renouvelables, pour respecter les accords de Paris (2015, hausse des températures de maximum +2°C), il faudrait une production minière supérieure au niveau actuel des réserves (21 Mt en 2020).

L’Union européenne souhaite devenir souveraine en lithium

À l’heure d’une volonté accrue de souveraineté, les lieux de production du lithium sont particulièrement scrutés. Sur les 86 millions de tonnes de ressources identifiées en 2020, trois pays, qualifiés de « Triangle du Lithium », en concentrent près de 60% : la Bolivie (24%), l’Argentine (22,4%) et le Chili (11,1%) [4]. La hiérarchie des pays producteurs est sensiblement différente : l’Australie s’impose largement (48,7% en 2020), suivie du Chili (21,9%) et de la Chine (17%). Pour converger vers plus de souveraineté, l’Europe souhaite intensifier sa production en devenant la deuxième région productrice de batteries au lithium, derrière la Chine, d’ici 2025 [5]. Le Vieux-Continent souhaite produire 25% des batteries électriques mondiales en 2030, contre seulement 2% en 2020 [6].

L’exemple serbe

À ce titre, l’exemple serbe est instructif. Depuis 2021, l’Union Européenne a notamment privilégié la Serbie pour assurer cette extraction de lithium. Cette dernière n’a pourtant pas bonne presse auprès de la population européenne. Sous la pression de son peuple et des associations environnementales, M. Aleksandar Vučić, président serbe, avait été contraint d’abandonner le projet d’extraction du géant minier Rio Tinto (groupe anglo-australien) [7]. Cependant, le projet n’est pas considéré comme totalement enterré et il pourrait tout de même voir le jour pour permettre à l’Europe d’atteindre ses objectifs.

Le projet était très contesté parce qu’il risquait de mettre en danger des dizaines d’hectares de forêts primaires ainsi que des centaines d’hectares de terres agricoles. Ce choix a également été pointé du doigt parce que d’autres pays européens, qui avaient pourtant des ressources plus importantes que la Serbie, n’ont pas été retenus. C’est le cas de l’Allemagne (3% des ressources mondiales, deux fois plus que la Serbie). Le pays d’Europe de l’Est semble avoir été choisi pour ne pas engager ce type de projet dans trop d’États membres. En effet, la Serbie n’est pour le moment pas membre de l’Union Européenne.

La France s’engage également dans la production de lithium

Face à cette contrainte de souveraineté, la France va aussi s’engager dans l’effort commun. D’ici 2027, une grande mine de lithium va être exploitée à Beauvoir dans l’Allier [8]. Selon Imerys, multinationale française chargée de l’extraction, cette mine va permettre de produire « 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium à partir de 2028 ». La France deviendrait donc le deuxième producteur mondial de lithium, derrière l’Australie (40 000 tonnes en 2020). Un projet qui suscite, lui aussi, des contestations en raison de son impact sur l’environnement.

Mine qui sera utilisée pour extraire le lithium à Beauvoir dans l’Allier

D’une manière générale, la production minière est très polluante, que ce soit au niveau des émissions de gaz à effet de serre ou de la pollution des sols. Le groupe Imerys a assuré que sa mine serait plus respectueuse de l’environnement que certaines mines présentes d’autres continents. Pour preuve : les émissions générées par l’exploitation seraient de 8 kilos de CO2 par tonne de lithium dans la mine de Beauvoir, contre entre 16 et 20 kilos en Australie et en Chine [9].

L’argumentaire d’Imerys peine encore à convaincre

Antoine Gatet, vice-président de France nature environnement, rejette cet argumentaire. Pour lui, « il faut arrêter avec le mythe de la mine propre » car « une mine, ça implique toujours à côté une grosse usine chimique de transformation, ce qui entraîne une exploitation, et à terme une pollution, de l’eau et des quantités importantes de déchets qu’on ne sait pas gérer ». Effectivement, en plus des émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’eau et le production de déchets est au centre des préoccupations des associations écologiques.

Une souveraineté européenne effectivement nécessaire pour la transition énergétique du continent

À l’heure actuelle, dans un contexte de tensions géopolitiques croissantes, la question des matières premières est centrale. Pour Vincent Donnen, expert en métaux rares, « le monde va passer de kilowattheures très carbonés, consommateurs d’énergies fossiles, à des kilowattheures très “métallisés” » [2]. Le principal problème de ce changement de paradigme réside dans la dépendance européenne au niveau de son approvisionnement de matériaux. Entre 2012 et 2016, 98% des terres rares consommées par l’Europe ont été importées de Chine. On comprend rapidement les conséquences désastreuses qu’un conflit géopolitique entre l’Europe et la Chine pourraient avoir sur le Vieux-Continent.

Une obligation de faire évoluer notre mobilité

La logique est la même pour le cas particulier du lithium, un conflit géopolitique avec un grand pays producteur empêcherait largement l’UE de décarboner sa mobilité. Même si la croissance des ventes de véhicules électriques est souhaitable, il est nécessaire de rappeler que nous ne pouvons pas continuer à avoir autant de voitures individuelles en circulation. La production de voitures électriques est tellement polluante que nous devrons nous concentrer sur d’autres modes de mobilité douce pour limiter le réchauffement climatique à +2°C.

Sources : 

[1] Mariette, M. (2020, 14 janvier). En Bolivie, la filière lithium à l’encan. Le Monde diplomatique. https://www.monde-diplomatique.fr/2020/01/MARIETTE/61191

[2] Rémy, J. (2022, 29 septembre).  « La course au lithium, le “pétrole du XXIe siècle”, est désormais aussi rude que globale ». Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/09/29/la-course-au-lithium-le-petrole-du-xxi-siecle-est-desormais-aussi-rude-que-globale_6143635_3232.html

[3] Gaudiaut, T. (2022, 3 novembre). Lithium : la flambée de l’or blanc. Statista Infographies. https://fr.statista.com/infographie/28659/evolution-du-prix-du-lithium-et-consommation-mondiale/

[4] IFPEN | Le lithium dans la transition énergétique : au-delà de la question des ressources ?  (s. d.). IFPEN. https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/article/lithium-transition-energetique-au-dela-question-des-ressources

[5] Dragojlo, S., & Mladenović, I. (2023, 30 janvier). Convoitise européenne sur le lithium serbe. Le Monde diplomatique. https://www.monde-diplomatique.fr/2022/09/DRAGOJLO/65034

[6] Charrel, M. (2022, 8 décembre). Lithium, terres rares : le réveil tardif des mines en Europe. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/08/transition-energetique-le-reveil-minier-tardif-de-l-europe_6153441_3234.html

[7] Euronews. (2022, 29 janvier). Serbie : le projet de mine de lithium de Rio Tinto annulé. euronews. https://fr.euronews.com/2022/01/29/serbie-le-projet-de-mine-de-lithium-de-rio-tinto-annule

[8] De Oliveira, A. (2022, 24 octobre). Lithium : la France bientôt 2e producteur mondial, malgré le danger environnemental. L’Humanité. https://www.humanite.fr/planete/mines/lithium-la-france-bientot-2e-producteur-mondial-malgre-le-danger-environnemental-768510

[9] latribune.fr & latribune.fr. (2022, 25 octobre). L’extraction de lithium : une technique gourmande en énergie et en eau. La Tribune. https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/lithium-une-extraction-nefaste-pour-l-environnement-gourmande-en-energie-et-en-eau-938067.html